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Brève histoire du monothéisme
Après une introduction,
- L'extraordinaire période amarnienne
- Monothéisme dans le pays de Canaan
-
Disparition de la première forme de divinité immanente- L'Islam
- Que la notion de Dieu disparaisse, l'auteur possible est infiniment plus grand
Situation
Si l'univers existe par hasard, les religions sont fausses et tombent d'elles-mêmes, comme les athées le disent.
Mais ceux qui m'ont lu jusqu'ici ont compris, je pense, que j'ai plutôt tendance à croire qu'il y a une présence intelligente pour animer toute l'énergie mise en jeu dans notre univers, et que notre histoire (en particulier) a donc toujours fait l'objet d'une création permanente (1).
C'est dans cette perspective que je vais essayer de donner ici mes vues sur les religions monothéistes, plus ou moins sous la forme d'un roman policier.
Remarquons tout d'abord que nous n'avons aucune religion qui soit vraiment monothéiste. Dans leur effort pour nous faire connaître un Dieu parfait, bon, miséricordieux, transcendant, elles se sont obligées à faire intervenir à ses côtés le diable, Satan, un esprit du mal. Au mieux, chacune de ces religions était donc un monothéisme et demi.
Nous devons le rappeler, toutefois, - il y a eu un seul monothéisme pur dans notre histoire, le premier connu, le plus ancien, la religion créée pour une période très courte dans l'Egypte ancienne, aux environs de 1350 avant J.C., par le Pharaon Akhenaton et la reine Néfertiti.
Notes :
(1) Disons aussi que je considère comme une sorte de signature l’usage récurrent, dans la nature, du nombre d’or, que les savants ont appelé dès l’Antiquité la Divine Proportion. Ce nombre apparaît d’innombrables fois dans les proportions des plantes et des animaux. Dans notre corps, il règne un peu partout...
L'extraordinaire période amarnienne
Nous devons voir que le premier monothéisme connu et documenté, la religion d'Aton, instaurée durant le Nouvel Empire égyptien par un jeune Pharaon de la XVIIIème dynastie et par sa Grande Epouse royale, Maîtresse des Deux Royaumes, était intuitivement un monothéisme correct, exactement adapté à ce que nos découvertes scientifiques nous poussent à considérer comme possible.
La première religion d'un Dieu unique fut imposée pour quelques années à l'Empire d'Egypte - ou plutôt à sa Cour, puisqu'elle n'a pas pu se répandre dans toute la population en un temps si court, - par le pharaon Amenophis IV (ou Amenhotep IV), qui prit ensuite le nom D'Akhenaton. Il essaya d'entraîner l'élite du peuple égyptien dans un élan à la fois raisonné et mystique vers un Dieu unique inédit, maître de tout dans le monde, le plus pur et le plus séduisant de notre histoire. L'épisode fut court, superbe, - et dramatique.
La reine était superbe. Les souverains décidèrent de construire une nouvelle ville le long du Nil, nommée Akhetaton ou "L'horizon d'Aton", qui était superbe. La sagesse du Pharaon était superbe. La vie à Akhetaton, riche comme la Cour des Pharaons l'était à cette époque, avec des nourritures, des fleurs, des oeuvres d'art, de l'or et toutes sortes de richesses en abondance, fut sereine et aisée pendant une douzaine d'années.
Mais Akhenaton souffrait d'une maladie dramatique, - une sorte de dysfonctionnement hormonal qui lui donna un corps assez bizarre. Le combat des souverains contre les prêtres des dieux égyptiens traditionnels fut dramatique, durant tout le règne. Le couple eut six enfants, mais toujours des filles, ce qui était dramatique pour la succession au trône. Trois d'entre elles moururent durant leur enfance. Comme Akhenaton était un pacifiste convaincu et entêté, l'Empire perdit progressivement plusieurs provinces sur ses frontières. Les deux souverains moururent jeunes, alors que l'avenir de leur religion n'était pas assuré. La nouvelle cité fut abandonnée, et plus tard détruite. Plusieurs des Pharaons suivants firent tout leur possible pour effacer les trace de ce qu'Akhenaton et Néfertiti avaient pensé, écrit et créé.
La religion d'Aton, déclarée si vite hérétique, avait quasiment disparu de l'histoire connue quand les égyptologues se mirent au travail, au cours du XIXe siècle. Amenhotep IV ne figurait pas dans les textes déchiffrés grâce à Champollion, il ne figurait pratiquement plus dans la statuaire retrouvée, il ne figurait nulle part dans la chronologie de Manéthon, précieux instrument de travail laissé par un prêtre du 3ème siècle avant JC. L'égyptologie a dû le redécouvrir peu à peu, lors de fouilles sur le site d'Akhetaton, à Tel-el-Amarna, ou sur certains sites de Louxor (Thèbes, ou l'Ancienne Capitale). Nous avons désormais un certain nombre d'oeuvres d'art, des correspondances diplomatiques de l'époque et deux des hymnes écrits par Akhenaton.
Le culte d'Aton n'était pas une absolue nouveauté, parce que cette divinité était déjà révérée sous diverses formes en Egypte lorsque le jeune Pharaon fut intronisé. Sa volonté enthousiaste de la redéfinir comme unique créa toutefois un art de vivre complètement nouveau. Akhenaton n'avait pas fait du Disque Solaire une icone ou une idole. Son élan mystique et divinatoire s'adressait vraiment à la puissance présente dans le soleil, à l'énergie créatrice qu'il symbolise. Il avait produit la première idée de l'univers vu comme "l'activité créatrice continue d'un dieu" (1). Pour preuve, nous pouvons examiner quelques vers des Hymnes à Aton:
O toi, seul Dieu, dont personne ne partage la puissance,
Tu as créé la terre selon ton désir,
Lorsque tu étais seul;
Les hommes, tout le bétail gros et petit,
Tout ce qui est sur la terre et qui va sur des pattes, (..)
Tu assignes à chacun sa juste position,
Créant pour ses besoins ce qui est nécessaire;
Chacun se voit ainsi pourvu de nourriture,
Et d'un temps d'existence justement mesuré.
Tu as formé le ciel au loin pour y briller,
Afin de contempler ce que toi seul tu crées.
Tu crées la beauté de la forme par toi seul,
Cités, villes et champs, le chemin et le fleuve,
Tous les yeux te voient devant eux,
Car tu es Seigneur du jour sur la terre.
Nul autre ne te connaît,
Sinon ton fils Akhenaton,
Tu lui as donné la sagesse dans tes desseins
Et par ta puissance
Les êtres sont dans ta main
Tels que tu les as créés. (2)
La poussière de sable apportée par le khamsin, le vent du désert, s'accumula au fil du temps en couches épaisses dans tous les palais, les temples et les maisons d'Akhetaton abandonnée. Elle entra aussi dans l'atelier du sculpteur Touthmès, où se trouvait le célèbre buste de Néfertiti en calcaire et plâtre peint, inachevé. Quand le socle de bois sur lequel il était posé fut vermoulu, le buste tomba dans la poussière sans se briser, et il y fut doucement enseveli. Ce qui nous a permis de le retrouver intact après plus de trois mille ans.
Personne ne fut autorisé à demeurer plus longtemps dans la ville hérétique, clairement.
Mais si quelqu'un nommé Ahmosis, ou Touthmosis (ou autre nom typiquement égyptien se terminant par -mosis), converti par Akhenaton et déterminé à maintenir sa foi dans le Dieu unique, avait décidé de se sauver en émigrant (probablement avec un petit groupe d'autres fidèles), - où pouvait-il aller?
Notes :
(1) Dorothea Arnold, "The royal women of Amarna", New York, Metropolitan Museum of Art, 1996, p.56 (traduction libre).
(2) Passages de la version donnée par Arthur Weigall, "Le Pharaon Akhenaton et son époque", traduction par Henri Wild, Payot, Paris, 1936, avec quelques extraits de la version de Pierre Grandet dans "Hymnes de la religion d'Aton", Editions du Seuil, Paris, 1995.
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Monothéisme dans le pays de Canaan
L'épisode suivant du monothéisme, comme chacun sait, eut lieu en Canaan, grâce à une population installée progressivement dans les hautes terres situées entre les plaines côtières et la vallée du Jourdain, à partir du XIIIème siècle avant JC. Progressivement - et pacifiquement, pas tout à fait comme la Bible le raconte. Ou même très différemment.
L'histoire de ces régions, vérifiée par l'archéologie et la documentation égyptiennes aussi bien que par des fouilles de plus en plus étendues sur place et dans le Sinaï, indique à présent de manière irréfutable que ces populations n'y sont pas venues à la suite d'un exode massif de populations hors d'Egypte (1). Elles n'ont pas conquis leurs territoires lors d'une glorieuse et miraculeuse campagne de conquête, avec trompettes qu'on sonne et murailles qui s'effondrent : les cités de la région n'étaient pas fortifiées à l'époque, Jéricho en particulier. Les traces retrouvées montrent au contraire l'implantation progressive de paysans qui venaient s'installer là, soit à cause d'une surpopulation des terres basses, soit pour éviter des impôts qui augmentaient. Ils furent rejoints par de nombreux nomades qui décidaient de transformer leurs tentes en maisons. Ils se mettaient à cultiver des céréales, de la vigne et des oliviers, tout en continuant de prendre soin de leurs troupeaux.
Il étaient des Cananéens comme les autres, qui cherchaient, dans leur pays même, des terres inexploitées et une vie différente. Toutefois, ils présentaient deux particularités qui les rendent uniques dans tout le Moyen-Orient. L'une de ces particularités, relevée par les archéologues dans les hautes terres de Canaan, est l'absence d'os de porcs, dans tous les sites excavés. L'autre semble avoir été la pratique presque constante d'une forme de monothéisme, avec une tendance toujours plus marquée, dans le royaume de Juda, à concentrer les actes religieux dans un seul endroit, - le Temple de Jérusalem.
Pour quelle raison, et d'où cela pouvait-il provenir? Le seul pays où l'on ne consommait pas de porc et où s'était déroulé un épisode de monothéisme était l'Egypte.
Vers l'an 1'000 avant JC, les paysans déplacés et les nomades sédentarisés formaient un petit royaume dans leurs montagnes. Le royaume de David et de Salomon, pourquoi pas, mais qui ne fut jamais si puissant ni glorieux que le montrent les descriptions bibliques. Jérusalem était encore une modeste bourgade. Un peu plus tard, le pays fut divisé en deux royaumes, celui de Juda dans le Sud, autour de Jérusalem, et celui d'Israel plus au nord.
En 724 avant JC, les Assyriens s'emparèrent du royaume d'Israel et déportèrent sa population. Celui de Juda demeurait seul, et Jérusalem gagna en importance. Elle devint une cité active et prospère, avec une population plus cultivée. Israel Finkelstein et Neil Asher Silberman ont démontré clairement que la Torah, les cinq premiers livres de la Bible, fut écrite aux environs de 625 avant JC, durant le règne du roi Josias, pour servir de consolidation à la foi dans un Dieu unique. Ces livres sont pleins de mentions de relations très particulières avec l'Egypte, - à commencer par une visite d'Abraham au Pharaon, pour continuer par la vente de Joseph par ses frères, et se terminer par le séjour prolongé de centaines de milliers d'Hébreux travaillant comme esclaves jusqu'à leur retour dans leur patrie. Toutes des légendes, pour autant qu'on puisse le vérifier.
Encore une fois, pour quelle raison?
Après la mort d'Akhenaton, son général en chef Horemheb - qui avait dû rester les bras ballants durant tout le règne de ce pacifiste, commença immédiatement à livrer des batailles sur les frontières. Avant de monter lui-même sur le trône, quelques années plus tard, il avait reconstitué l'Empire tel qu'il avait été sous Amenhotep III, le père d'Akhenaton. Il avait reconquis de grandes parties du Levant, la Syrie incluse, et une partie de l'Asie Mineure. La forte présence militaire de l'Empire, dans ces régions, devait durer plusieurs siècles après la période amarnienne. Ceci concernait évidemment le pays de Canaan tout entier, mais il est vraisemblable que les terres hautes, récemment peuplées, ne firent pas l'objet d'une surveillance soutenue.
Là, nous commençons à voir plus clair : des gens qui voulaient persévérer dans la pratique du culte d'Aton ne pouvaient pas rester en Egypte, où il était strictement interdit. Ils ne pouvaient pas aller à "l'étranger", puisque les autres empires avaient chacun sa propre religion, imposée à la population. Ils ne pouvaient pas rester non plus dans les riches plaines côtières de Canaan ni dans la vallée du Jourdain, contrôlées de près par l'Egypte aux abords de ses routes impériales. Mais quelques fuyards pouvaient aisément trouver refuge dans les montagnes, avec des paysans nouvellement installés, et y rester cachés pour le reste de leur vie.
On sait que les peuples des hautes terres eurent des contacts avec un peuple plus ou moins migrant et d'assez mauvaise réputation, les Uparus, ou Hubarus, nomades venus du désert d'Arabie qui voyageaient le long des côtes du Sinaï, des confins de Canaan jusqu'en Egypte, pour s'engager parfois comme ouvriers agricoles ou comme manoeuvres dans le delta du Nil. Notre "Mosis" et ses amis ont donc pu trouver la solution de se mêler à des Hubarus qui rentraient en Arabie, pour se sauver, et de les accompagner sur une partie du chemin, puis de les abandonner pour se faire accepter dans les monts de Canaan où la vie - si pénible qu'elle fût - leur paraissait plus à leur goût que l'existence de nomades dans le désert.
On imagine facilement qu'ils tentèrent de convertir leurs hôtes au culte de leur Dieu unique "dont le nom ne devait pas être prononcé" (par peur qu'un officier égyptien ne l'entendît?), qu'ils leur apprirent à se passer de porc et qu'ils leur conseillèrent de pratiquer, comme en Egypte, la circonsision. Avec le temps et avec une transmission orale des souvenirs sur les origines - qui tend toujours à les embellir, de génération en génération, et à les enrichir grâce à de vieilles légendes connues dans toute la région, - le nom des Hubarus fut probablement transformé en Hébreux, "Mosis" devint un héros des Hébreux, ses amis devinrent une foule et une armée. Dès lors, les Cananéens des hautes terres commencèrent à se sentir un peuple très différent.
Sigmund Freud fut l'un des premiers à dire que le personnage de Moïse devait être égyptien (2). Le nom l'indique, sa formation reflète exactement l'épisode atonien. Il a probablement sauvé le monothéisme, mais il a perdu les découvertes essentielles d'Akhenaton.
Notes :
(1) Israel FINKELSTEIN et Neil Asher SILBERMAN, "La Bible dévoilée", traduction Patrice Ghirardi, Bayard Editions, Paris, 2002
(2) Sigmund FREUD, "L'homme Moïse et la religion monothéiste", traduction Cornélius Heim, Gallimard, Paris, 1986
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Disparition de la première forme de divinité immanente
L'Egypte était fertile et prospère, et un Pharaon, plus que n'importe qui, était à l'abri de tout souci matériel. Akhenaton avait toutes les raisons du monde d'envisager une puissance créatrice unique, responsable de tout, qui fût en même temps digne de louange.
Tandis que les atoniens exilés, quand ils eurent trouvé refuge dans les rocailles de Palestine, furent bien obligés de gagner leur vie à la sueur de leur front, comme leurs hôtes cananéens. Ils ne pouvaient plus admirer sans restriction le créateur d'une nature ingrate. Ils n’avaient plus guère de louanges à chanter à leur dieu solaire, qui ne créait plus "pour leurs besoins ce qui était nécessaire", puisqu'il les avait mis en situation d’avoir à s’établir sur des terres ingrates, parcimonieusement irriguées. Ils n’étaient plus dans une Egypte que les rayons dispensés par Aton "mettaient chaque jour en fête" (1), ils ne baignaient plus dans l’harmonieuse prospérité de la période atonienne.
Il fallait expliquer ce désastre. Il fut donc normal pour eux d'inventer l’histoire du péché originel et de la chute des humains, pour expliquer leur expulsion du paradis terrestre d'Akhetaton la belle, abandonnée, devenue champ de ruines et de sable au bord du Nil. La création se révélait imparfaite, et comme cela ne pouvait être la faute du Dieu créateur, il s'imposait de la rejeter sur les humains eux-mêmes, ou sur l'Esprit malin qui avait entraîné Adam et Eve à mal faire. Rien n'allait plus de soi, comme à Akhetaton, - ils avaient dès lors aussi besoin de la Loi, pour qu’un certain ordre soit maintenu dans les populations auxquelles ils se trouvaient mêlés.
Aton était une pure force créative, un équivalent de l'Identité suprême, de la Réalité ultime, de l'Absolu ou de la Voie décrits dans les religions asiatiques. Mais les voyages déforment les religions. Pour sauver leur idée d'un Dieu unique, les atoniens durent l'adapter à une situation imprévue. La notion du maître d'une "activité créatrice continue" fut rétrécie à celle d'un simple personnage qui avait créé le monde "au commencement" et qui s'était détaché de son invention pour demeurer distant, exigeant, amer par moments, colérique et même belliqueux à d'autres.
Nous sommes ainsi passés d'une première idée de Toute-Puissance et de Toute-Présence à celle d'un Dieu qui n'était plus vraiment unique. Tout d'abord parce qu'il y avait le diable à côté de lui, - il fallait qu'il y ait Satan, et une compétition entre eux. Ensuite parce que les Hébreux l'avaient en fait adopté en opposition à des dieux étrangers bien connus, pour en faire leur Dieu exclusif, - un dieu sans nom, ou alors également nommé Yahvé, comme le dieu du tonnerre des Hubarus. Une dualité durable entre Dieu et le monde venait d'être instaurée.
Jésus de Nazareth s'est présenté dans le monde sur la base de cette représentation malencontreuse.
Note :
(1) paroles du Grand hymne à Aton
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Jésus de Nazareth fut un personnage étrange dont la destinée, en Palestine, au moment de l'occupation romaine, suscita le plus inextricable noeud de malentendus de notre histoire, suffisammennt extraordinaire pour qu'on prenne son année de naissance approximative comme pivot des datations historiques et de nos calendriers. Si un auteur a façonné ce personnage étrange, comment le voulait-il et quels moyens a-t-il réellement employés?
Bien évidemment, nous devons renoncer à l'idée d'un rédempteur ou de "l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde". La vie sur Terre a évolué de l'amibe aux créatures complexes, dont nous semblons représenter l'étape la plus élaborée en terme de "sapiens sapiens". Dans ce processus, nous ne pouvons apercevoir aucun moment où nous aurions fait une "chute". Les Atoniens exilés ont probablement dû inventer cette légende pour expliquer leur exil d'un paradis.
Nous devons aussi abandonner l'idée que Jésus était "Dieu incarné", en tant que partie de la Sainte Trinité. S'il existe une présence, Jésus fut une incarnation comme nous le sommes tous, sous réserve d'avoir été impliqué dans un certain nombre de miracles.
Enfin il faut voir que la résurrection du Christ ne peut rien signifier d'utile quant à la survie de nos âmes. Nous n'aurions pas assez de place sur la Terre pour y revenir tous, même avec des corps glorieux, et de plus nous savons que la Terre est condamnée à disparaître quand le Soleil aura brûlé son combustible, dans environ quatre à cinq milliards d'années. Ce qui est un temps considérable, - mais beaucoup moins qu'une éternité.
Jésus a-t-il vraiment fait l'objet de tous les miracles mentionnés dans les Evangiles, pour le rendre inoubliable, ou alors est-ce la destinée d'un jeune homme exceptionnellement sage et doué, né dans un pays très spécial à un moment crucial de son histoire, qui a simplement servi de base à toutes les spéculations, récits et écrits qui l'ont rendu célèbre en tant que Jésus-Christ, en dehors de la nation juive? Quel amalgame de prodiges et de légende a-t-il fallu pour causer finalement la conversion de tout l'Empire romain au Dieu jusque là exclusif d'Israël, dans un processus lent et souvent dramatique? Et pour imposer la nouvelle conception de "Dieu le Père", contre la volonté des Juifs eux-mêmes.
Avec une connaissance impressionnante de l'histoire locale et régionale, des pratiques religieuses et des philosophies connues dans le Moyen-Orient à l'époque, Gérald Messadié a écrit une biographie de Jésus - imaginaire, évidemment, pour toutes les périodes de sa vie que les Evangiles ne couvrent pas, mais aussi vraisemblable que possible d'après ses investigations (1). Il dit par exemple que les victimes des crucifixions mettaient un temps très long à mourir, en général un jour entier ou même deux, sauf si les bourreaux leur cassaient les tibias, comme on l'a fait, d'après Saint-Jean, pour les deux brigands crucifiés avec Jésus. Il suggère donc que Jésus était simplement évanoui, ou qu'il était tombé dans un coma, le soir de sa crucifixion, quand Joseph d'Arimathée et Nicodème (membres dissidents du Sanhédrin, honteux de ce qui était arrivé) demandèrent à Ponce Pilate (lui-même assez mal à l'aise avec la condamnation prononcée) la permission de disposer de son corps avant le Sabbat. Ils auraient pu le soigner, cachés dans un tombeau tout neuf, de sorte que Jésus puisse s'échapper le troisième jour, via Emmaüs, pour disparaître en direction de l'Est. On dit qu'il aurait pu aller en Inde.
Note :
(1) Gerald Messadié, "L'homme qui devint Dieu", Robert Laffont, Paris, 1988
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Avec ou sans miracles, ce qui reste de l'épisode est une leçon d'amour mutuel, un presque-signe de la présence, et le christianisme. Passons-les en revue:
- La leçon d'amour mutuel a été constamment reprise et ressassée dans des prêches par toutes les Eglises, mais elle a donné très peu de résultats en deux mille ans. Toute la période a plutôt vu se dérouler des guerres religieuses sans merci, contre les Musulmans et contre les païens, ou entre des nations chrétiennes, ou encore des guerres civiles à l'intérieur de pays chrétiens, - sans parler des autodafés ou d'autres crimes, dont évidemment les constantes exactions contre les Juifs qui ont culminé avec le génocide commis par les Nazis.
- Avec Jésus de Nazareth, nous sommes passés tout près de recevoir un signe de la présence possible d'un auteur de l'univers, mais aucun des miracles rapportés à son sujet, toutefois, n'a jamais été prouvé. Nous n'avons pas de trace matérielle de son passage. Les listes du fameux "recensement de toute la terre" ordonné dans l'Empire romain "alors que Quirinius était gouverneur de Syrie" ne nous ont pas été transmises. L'Empire romain n'a pas laissé non plus de registre de ses innombrables crucifixions. Jésus, après sa résurrection, ne s'est pas présenté aux prêtres du Sanhédrin pour triompher d'eux devant la foule. Il n'est pas retourné chez Ponce Pilate pour qu'il puisse se laver les mains une seconde fois. Malgré tout, le presque-signe n'est pas passé inaperçu, s'il faut en juger par les institutions pompeuses qui en perpétuent le souvenir.
- Le christianisme, pour cette présence qui forme peut-être un dessein intelligent, était une étape indispensable. Principalement à cause de la piêtre opinion du monde qu'il propose. Il décrète que nous sommes dans un monde déchu, une vallée de larmes, un "ici-bas" dont les Chrétiens devraient se détacher pour ne penser qu'au Royaume des cieux qu'il propose, - à leur salut dans un autre monde, dans "un monde meilleur".
L'humanité, jusque là, avait respecté la nature (par force, sinon par intention), ne lui prenant que ce qu'elle pourrait toujours donner. Les civilisations anciennes cultivaient leurs champs avec un soin méticuleux, dans des cycles de travaux calculés pour durer perpétuellement. Les chrétiens, au contraire, imprégnés par cette opinion défavorable du monde, ont eu tendance à prendre un soin minimal de leurs terres et de tout ce qu'elles portaient. Quand la religion a relâché son emprise, les mauvaises habitudes étaient prises. La philosophie des temps modernes s'est mise à considérer l'homme, devenu l'individu, comme le seul sujet intéressant - face à une "étendue" exploitable à merci, composée des choses, des plantes, des animaux, même des hommes d'autres races qui ne savaient pas se défendre. Un désintérêt général pour le support de la vie a permis aux populations de tout l'Occident de développer - à côté d'une science désinhibée - des technologies de plus en plus efficaces qui sont vite devenues polluantes et qui ont causé des dommages irréparables. Le même dédain leur a permis de se lancer dans leurs aventures coloniales et dans l'esclavage. Ils ont établi la forme de civilisation la plus dangereuse. Ils y jouissent encore d'un confort précaire, mais elle conduit à une catastrophe annoncée.
Même les prêches d'amour mutuel ont eu de mauvais aspects, en ce qu'ils laissaient toutes les autres créatures vivantes dans un identique et sinistre dédain. Non pas que les autres ou les précédentes civilisations aient été toujours meilleures à cet égard, mais c'est une pitié de voir de soi-disant chrétiens s'assembler par dizaines de milliers dans des arènes pour y voir tourmenter et tuer cruellement des animaux superbes. Ou arpenter la banquise pour tuer des bébés-phoques sous les yeux de leurs mères, dont les cris de détresse apitoieraient un mur. Ils jettent aussi constamment des bêtes vivantes dans l'eau bouillante pour les manger. Ils effectuent des expériences de laboratoire révoltantes sur des souris, des chiens, des singes. Quant aux plantes... La vie n'est respectée sous aucune de ses formes - mis à part la vie humaine, quand encore elle l'est.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette effrayante liberté née du mépris pour une création imparfaite et déchue fut la clé du développement d'une recherche de base qui nous donne à présent une vue beaucoup plus claire de l'univers tel qu'il est, relatif, abstrait, basé sur de l'énergie pure, avec une Terre plus fragile que les Anciens ne l'auraient jamais cru possible. Sans cela, nos sciences et notre philosophie en seraient peut-être encore au stade où se trouvaient celles de la Chine et de l'Inde avant que nous n'allions les intoxiquer avec nos notions de progrès.
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Le christianisme a forcé ses fidèles a rencontrer sans cesse l'image d'un supplice affreux des temps anciens. D'autre part, il proposait une notion intéressante - encore que difficile à saisir - de la divinité, sous trois formes, celles du Père, du Fils et du Saint-Esprit. L'Islam, qui apparut plus tard en Orient, est une religion plus raisonnable, plus facile à comprendre, plus proche aussi des philosophies de la Grèce et du monde hellénistique. Le prophète Mahomet a pris en compte certaines des mêmes écritures, mais il eut l'inspiration d'en redresser une partie des erreurs. L'Islam considère Jésus de Nazareth comme un simple prophète, et même s'il admet sa naissance miraculeuse d'une vierge, il ne lui reconnaît pas une nature divine.
L'Islam est plus sage. Il ne connaît pas le péché originel. Il aime la création telle qu'elle est. Il promet un paradis, mais il n'empêche pas ses fidèles de jouir de la vie terrestre quand ils le peuvent. L'Islam a coulé comme une eau d'oasis devant les populations des déserts d'Arabie, dès son apparition. L'Islam s'est répandu comme une eau de fontaine rafraîchissante devant des peuples plus patients que ceux de l'occident européen, et les a transformés. L'Islam fut longtemps, dans tout son domaine, une religion productrice de beauté, de vie heureuse, de tolérance et d'harmonie, dans le respect des traditions. Sa propagation rapide dans un grand nombre de pays était normale, parce qu'il apportait plus qu'une simple religion: un mode de vie, des règles de comportement, des lois civiles, une philosophie de la vie.
Toutefois l'Islam est aussi un "monothéisme et demi" (il connaît, il utilise Satan), adressé à un Dieu-personnage, à un Dieu en dualité avec l'univers. L'Islam a corrigé et simplifié l'image de Dieu, mais, si "Allah est grand", ce n'est pas au point de lui faire rejoindre la stature d'un Aton avec son "activité créatrice continue", ce n'est pas avec l'absolutisme d'un auteur en permanence du cosmos.
L'Islam enjoint à ses fidèles de faire des prières, ce qui est inutile puisque l'esprit-énergie, s'il existe, n'a aucun besoin de se parler à lui-même par notre bouche. Il leur demande de se prosterner pour les faire, dans une attitude de soumission, alors que l'esprit-énergie doit plutôt souhaiter, désormais, des humains actifs, réfléchis, critiques et responsables, qui méditeront mieux en contemplant le monde devant eux, de manière à voir ce qu'il faut admirer entre eux et l'horizon, et ce qu'il faut corriger.
L'Islam est injuste vis-à-vis des femmes, que l'évolution avait toujours maintenues dans une égalité parfaite et qui sont plus sensibles, plus divinatrices que les hommes - deux qualités dont l'humanité a le plus grand besoin en ce moment. Il enjoint aux femmes de se couvrir et de cacher leur beauté en public, ce qui est une insulte à l'auteur de la nature.
La présence peut avoir créé une apparition de l'archange Gabriel pour dicter le Coran, mais la même réflexion s'impose ici que pour le christianisme: d'autres moyens d'inspiration, plus simples, pourraient avoir été utilisés pour obtenir le même résultat. Il faut noter, à cet égard, que l'Islam a fait une erreur, légère mais révélatrice, en instituant le jeûne du Ramadan. Ce jeûne doit être observé selon des cycles lunaires, c'est-à-dire chaque année à une autre période du cycle solaire. Or un tel jeûne, du lever au coucher du soleil, ne peut pas être observé pendant l'été à l'intérieur des cercles polaires - le soleil ne s'y couche jamais. Ce défaut minime jette l'ombre d'un doute sur la qualité de son inspiration. Mahomet ignorait sans doute que pour rendre sa religion universelle il devrait pouvoir convertir un jour des Lapons et des Inuits, mais Gabriel Archange aurait dû le savoir.
Dans les périodes récentes, l'Islam a inspiré une résignation trop grande devant la fatalité et la force des choses. L'Islam prône la soumission à des règles édictées autrefois dont les raisons d'être étaient locales et coutumières, mais qui sont devenues archaïques. Il est d'ailleurs prouvé historiquement que les règles formulées par Mahomet à l'intention des femmes visaient à améliorer la situation qu'elles avaient en Arabie de son temps, et tendaient à les rendre plus heureuses, à les émanciper, à les délivrer d'un excès de domination masculine, - tout cela avec une certaine dose d’humour tendre. Hors de leur contexte, à présent, ces mêmes règles servent à brimer les femmes, à les contraindre à se sentir inférieures aux hommes.
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Que la notion de Dieu disparaisse, l'auteur possible est infiniment plus grand
L'univers n'a plus de place pour une divinité vue comme un "autre", pour un personnage étrange retiré dans un autre "Ciel". Nous devons abandonner complètement cette idée.
Les religions monothéistes ont été des formatrices importantes de nos sensibilités. Elles ont servi de base à nos cultures. Elles ont teinté à leurs couleurs les évolution diverses des peuples d'une grande partie de la Terre. Elles n'ont pas été faites pour les divinités qu'elles décrivaient toutes les trois par erreur, - c'est nous qui avons eu besoin des religions jusqu'à présent, c'est pour nous qu'elles ont été faites. Nous avions besoin des religions pour nous guider et pour nous consoler dans toutes sortes de situations.
Désormais, nous devrons nous en passer. Nous devons éviter par-dessus tout qu'il y ait encore des "nous" et des "eux" pour de telles raisons. Nous devons inventer, chacun de nous, nos propres rites de passage, les cérémonies que nous voulons pour les naissances, les unions, les obsèques, avec nos choix de poèmes, de musique, de chants, de pensées. Nous devons larguer ces amarres, inventer notre futur, accéder à l'espace infini d'une spiritualité libre, universelle, - et personnelle, en même temps. Nous devons sortir de nos moules, jouir de notre liberté, nous forger une valeur digne de notre auteur possible.
La présence éventuelle demeure cachée pour nos sciences et nos instruments scientifiques, mais elle est totalement perméable à notre intuition.
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Vois aussi, à propos de la présence possible, une liste de conséquences
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© André Chollet - Genève, juillet 1999
dernières modifications décembre 2006